Pareils au prince Siddhartha, avant qu’il n’entre sur la voie du renoncement pour devenir l’Eveillé, un grand nombre d’entre nous vit, le temps d’un songe, dans un palais des illusions. Ses murs ne sont pas solides comme ceux que le père de Siddhartha fit ériger autrefois, en Inde, pour protéger son fils de la souffrance. Au début du XXI° siècle, ce sont les murs immatériels de l’amour de soi, poussé parfois jusqu’au fantasme d’un corps durablement jeune, lisse et siliconé, nourri de DHL. Retranchés derrière cette obsession de jeunesse, forme et santé, nous ne voyons pas à quel point sont fragiles les remparts de cet attachement à nous-mêmes - nous ne le découvrons qu’a posteriori, une fois qu’ils se sont effondrés. Cela se produit bien souvent avec l’annonce d’une maladie grave, pour nous-mêmes ou un proche.
Nous sommes alors, de nouveau pareils à Siddhartha, sortant du palais des illusions, lorsqu’il rencontra la maladie, la vieillesse et la mort. Sans préparation, nous découvrons la réalité de la souffrance en tombant malades.
Le médecin, lui, a fréquenté la réalité de la souffrance tout au long de ses années d’études et de pratique. Pour autant la connaît-il, l’accepte-t-il ? Grâce à des mécanismes de défense et blindage, il vit aux côtés de la souffrance, dans un déni de cette souffrance qui peut aller jusqu’à l’acharnement thérapeutique. Pourtant, face à la réalité de la souffrance, un chemin commence qui permet de progressivement l’accueillir, l’accepter et la transformer.
Sur un tel chemin, les maîtres spirituels peuvent nous guider. Ils enseignent que la maladie est un cadeau de la vie. Lama Zopa Rinpoche va jusqu’à dire que tomber gravement malade, c’est comme entrer en retraite. Les murs de l’égoïsme s’écroulent, la souffrance, qui est en nous, nous relie à la souffrance hors de nous. Nous ne souffrons plus seuls, nous souffrons avec tous les êtres. Telle est la réalité de la souffrance qui nous introduit à l’universalité du cœur.
Si, en ce temps d’épreuve où sont exacerbées les capacités de comprendre et d’aimer, nous avons la chance que nous soit enseigné tong len, chaque respiration deviendra une prière d’amour pour tous les vivants. En inspirant, nous prendrons sur nous la souffrance des autres et, en expirant, nous leur donnerons notre propre bonheur.
Le rapport avec la souffrance, la maladie et la mort sont au cœur des enseignements bouddhistes. La méditation nous apprend à transformer notre souffrance et accompagner celle d’autrui. En tant que bouddhistes, c’est notre responsabilité d’être présents auprès des soignants et des malades. En cet instant, sur un lit d’hôpital, ou isolées, délaissées, de nombreuses personnes luttent contre le processus irréversible de la maladie et de la mort, qui est d’autant plus insupportable qu’on ne sait pas lui donner de sens. Faute d’une présence et sans aucun réconfort, des patients dont le pronostic vital est engagé, glissent vers une demande de suicide assisté. Les listes d’attente ne cessent de s’allonger, pour une euthanasie active, dans les cliniques du monde offrant un tel service.
L’alternative qu’offrent les maîtres bouddhistes au désespoir devant la souffrance et la fin de vie, consiste à activer le potentiel immense de compassion, présent en chacun de nous, jusque dans le passage ultime du moment de la mort. La compassion est une énergie puissante de guérison qui peut, dans certains cas, soigner les maux du corps, mais qui, surtout, vient à bout de la maladie fondamentale de l’égocentrisme, prodiguant ainsi la guérison suprême et la joie.
par Sofia Stril-Rever (dans le site buddhaline)
Combien j'aimerai transmettre cela aux malades dont je m'occupe... Guérir sa vie par la compassion... Pascale