Extrait de "La lumière que je suis" de JC Amberchele - Le récit d'éveil d'un prisonnier à perpétuité - (sur la base des livres de Douglas Harding)
Mauvais jour
Il est six heures du matin, et le réveil explose à travers ma tête. Le haut-parleur du système de communication est juste à l'extérieur de ma cellule et, une fois de plus, je me suis réveillé dans un cauchemar. Pourquoi hurlent-ils dans le micro ? Ne savent-ils pas qu'ils blessent nos oreilles ?
J'ai un quart d'heure pour rejoindre la cantine. J'ai mal au dos Je maudis le sommier de métal et le fin rembourrage qu'ils qualifient de matelas. Autant dormir avec une pierre comme oreiller. Mais, pour des raisons de sécurité, il n'y a pas de pierres dans cette prison, rien de plus gros qu'un caillou. Ce qui me rappelle quelque chose que je n'ai plus vu ces vingt dernières années – la crotte de chien.
J'enfile ma chemise, mon pantalon réglementaire et mes brodequins. Je vis dans une salle de bains de trois mètres sur deux, donc le wc n'est pas loin. Ce wc se trouve être en métal, sans siège et gelé, mais par chance je n'ai pas à m'asseoir dessus pour le moment, alors je reste debout à faire mes affaires, tout en m'inquiétant pour le papier toilette qui est presque fini – notre ration d'un rouleau par semaine est loin de suffire.
Je brosse ce qui reste de mes dents. Dieu me garde d'avoir un mal de dents. Cela prend jusqu'à trois mois pour décrocher un rendez-vous avec le dentiste, coûte presque la moitié de mon salaire mensuel de 12 dollars et « soigner » la dent veut dire en général l'arracher.
Appel de la cantine. Les portes des cellules s'ouvrent : je joue des coudes en descendant l'étage avec tous les autres et je me mêle à la foule près de la porte de mon groupe. L'haleine de Frankie pue. Ce type devrait au moins se laver le visage et se brosser les dents – je veux dire, une fois par semaine, ce serait mieux que rien. Le flic dans le Centre de Contrôle s'amuse une fois de plus à ses petits jeux. Comment se fait-il qu'il laisse toujours entrer les autres groupes en premier? Pourquoi diable faut-il que nous soyons les derniers chaque foutu jour ?
Enfin ! Nous y voilà, tel du bétail dans leur compartiment, à travers le vestibule vers l'extérieur du bâtiment des cellules. Puis nous descendons l'allée vers la cantine. En un instant, nous nous retrouvons alignés à la porte ouest, plus d'une centaine d'entre nous. Plusieurs autres centaines à l'intérieur. Par chance, il ne pleut pas et il ne fait pas froid aujourd'hui, sans quoi je serais deux barreaux plus bas sur l'échelle de la misère, et je suis déjà assez misérable comme ça.
A l'intérieur, le bruit est écrasant. Entrer dans la cantine, c'est comme entrer en enfer... Il doit y avoir trois cents hommes ici en permanence, qui hurlent simplement pour être entendus. Maintenant je sais pourquoi les prisons de jadis appliquaient la règle du silence au moment des repas . Je veux hurler : « Fermez vos gueules » !, mais je ne voudrais pas que trois cents truands gâchent mon petit déj. Je finis par atteindre le guichet de service et un détenu pousse un plateau en plastique vers moi. Il y a un cheveu dans mon gruau et alors ? De toute façon, je ne le mangerai pas.
…/ ...
Toute la journée est à l'avenant...
Et puis, Douglas Harding est passé par là...
Une journée différente
Réveil. Le système de haut-parleurs est fort, comme des cymbales qui tomberaient partout à la fois. Trois murs de la cellule apparaissent, une main, une autre main qui jette le drap sur le côté, puis je regarde vers le bas et je vois des pieds, et plus bas je vois des genoux, un sous-vêtement, un t-shirt, et au-dessous de cela – rien ! Je suis grand, grand ouvert, flottant, et les murs, les mains, la couchette, les pieds, le short et le t-shirt sont tous en moi ! Bon Dieu, ça c'est une manière de se réveiller !
A présent, je suis assis, puis debout, une douzaine de sensations à la fois : sons, douleurs et pressions, et plus encore. Je regarde en bas vers la poitrine – oui, comme toujours, je suis à l'envers. Le pantalon s'installe, la chemise est mise. La pièce balance de-ci de-là et maintenant tout glisse vers moi, le mur d'en face, l'évier et le wc vont en grossissant. C'est si étrange et amusant, être cette Première Personne. Je regarde en bas et je vois que je fais pipi vers le haut !
Ce visage dans le miroir n'est pas mon visage. Pour le prouver je sors mon rasoir et je contemple à un mètre de distance ce vieux type dans le miroir en train de se raser. Ici, il n'y a pas de visage, seulement des sensations dans cette vacuité vivante. Comme c'est extraordinaire ! Je n'ai jamais besoin de me raser !
Et maintenant, pour prouver que je n'ai pas de dents ni de bouche dans laquelle les abriter, je prends ma brosse à dents, étale du dentifrice dessus (sans effort – comment cette main fait-elle cela?), et je place le bout de la brosse dans l'espace vide. Immédiatement, il y a le goût de la menthe, et une pléthore de sensations fraîches qui l'accompagne. C'est tout à fait remarquable, ce brossage de dents.
Appel de la cantine. Les portes de la cellule s'ouvrent, et comme par magie le cadre de la porte passe autour de moi et disparaît. Des hommes de différentes tailles se pressent pour descendre à l'étage. Moi, cependant, je reste parfaitement immobile, tandis que l'étage file à travers moi, les portes d'un côté et la rambarde de l'autre, qui glissent dans le néant. En un rien de temps je suis hors du bâtiment des cellules et sur le trottoir. L'air est vif, et il y a un parfum de pins venu des montagnes. Le trottoir glisse sur le côté, et quand je regarde vers le bas, je vois mes pieds bouger pour rester avec lui, et je remarque que, bizarrement, le trottoir semble à présent surgir de nulle part au sommet de mon champ visuel et disparaître nulle part en bas – mes pieds semblent escalader ce tapis roulant, et pourtant je ne me sens pas fatigué !
La cantine grossit et une longue file d'hommes se rapproche de moi, de taille décroissante, tous me tournant le dos. Un homme se retourne et commence à me parler et je vois qu'il parle à l'espace vide, ici, ne regardant et ne parlant à personne – j'ai revêtu son visage ; je suis devenu lui ; en fait, je me parle à moi-même !
Dans la cantine la scène est à la fois sauvage et drôle. Je vois maintenant des centaines de visages, des centaines de corps de toutes tailles et formes, et un véritable concert de voix, fortissimo. Il n'y a pas de sentiment de lourdeur, pas de tristesse là-dedans, en dépit des poches de colère et de frustration que je détecte. Le plateau arrive, et en quelques minutes une table se présente. La nourriture semble irréelle, mais quand cette main la soulève sur une fourchette et la met littéralement dans rien au-dessus de ma chemise, une saveur apparaît ! Comment cela arrive-t-il et pourquoi donc l'ai-je pris avant pour une évidence ?
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Oui, nous prenons tellement de choses comme des évidences... Et si nous y regardions de plus près pour découvrir qui nous sommes vraiment vraiment vraiment? Pascale